Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/133

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cente que la reine lui fit pour un jeune colonel. Les moindres grades, accessibles encore sous Louis XIV et sous Louis XV, ne furent donnés sous Louis XVI qu’à ceux qui pouvaient prouver quatre degrés de noblesse. Fabert, Catinat, Chevert n’auraient pu arriver au grade de lieutenant.

J’ai dit le budget de la guerre (en 1784) : quarante-six millions pour l’officier, quarante-quatre pour le soldat. Pourquoi dire soldat ? Mendiant serait le mot propre. La solde, relativement forte au dix-septième siècle, vient à rien sous Louis XV. Sous Louis XVI, il est vrai, une autre solde s’ajoute, payée en coups de bâton. C’était pour imiter la fameuse discipline de Prusse ; on crut que c’était là tout le secret des victoires du grand Frédéric : l’homme mené comme une machine et châtié comme un enfant. Le pire des systèmes à coup sûr, unissant les mots opposés, système à la fois mécanique et non mécanique, d’une part fatalement dur, de l’autre violemment arbitraire.

Les officiers méprisaient souverainement le soldat, le bourgeois, toute espèce d’hommes, et ne cachaient pas ce mépris. Pourquoi ? Pour quel si haut mérite ? Un seul, ils tiraient bien l’épée. Le préjugé si respectable qui met la vie des braves à la discrétion des adroits constituait à ceux-ci une sorte de tyrannie. Ils essayèrent à l’Assemblée même ce genre d’intimidation ; dans la chambre de la Noblesse, certains membres tirèrent l’épée pour empêcher les autres de s’unir au Tiers-état. La Bourdonnais, Noailles, Castries, Cazalès, provoquèrent Barnave et Lameth.