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Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/136

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du soldat, lui témoignant du moins intérêt, comme on le pouvait alors, par l’augmentation de quelques deniers qu’on ajouta à la solde. Ce qui l’encouragea bien plus, ce fut de voir qu’à Paris M. de La Fayette avait porté tous les sous-officiers aux grades supérieurs. L’infranchissable barrière était donc enfin rompue.

Pauvres soldats de l’Ancien-Régime, qui si longtemps avaient souffert sans espoir et en silence !… Sans être les prodigieux soldats de la République et de l’Empire, ils n’étaient pas indignes d’avoir aussi enfin leur jour. Tout ce que je lis d’eux dans nos vieilles histoires m’étonne comme patience et me touche comme bonté. Je les vois, à La Rochelle, entrant dans la ville affamée, donner leur pain aux habitants. Leurs tyrans, leurs officiers, qui leur fermaient toute carrière, ne trouvaient en eux que docilité, respect, douceur et bienveillance. Dans je ne sais quelle affaire sous Louis XV, un officier de quatorze ans, à peine arrivé de Versailles, ne pouvait plus avancer : « Passe-le-moi, dit un grenadier gigantesque, je le mettrai sur mon dos ; s’il y a une balle à recevoir, je la sauverai à l’enfant. »

Il fallait bien qu’à la fin il y eût un jour pour la justice, l’égalité, la nature ; heureux ceux qui vécurent assez pour le voir !… Et ce fut pour tous un bonheur. Quelle joie pour la Bretagne de retrouver encore, à près de cent ans, dans son humble état de pilote, le pilote de Duguay-Trouin, celui dont la main ferme et froide menait le vainqueur sous le