Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/210

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cher les hommes de se rapprocher. Douanes intérieures, péages innombrables sur les routes et sur les fleuves, diversité infinie de lois et de règlements, de poids, mesures et monnaies, rivalités de villes, de pays, de corporations, soigneusement entretenues… Un matin, ces obstacles tombent, ces vieilles murailles s’abaissent… Les hommes se voient alors, se reconnaissent semblables, ils s’étonnent d’avoir pu s’ignorer si longtemps, ils ont regret aux haines insensées qui les isolèrent tant de siècles, ils les expient, s’avancent les uns au-devant des autres, ils ont hâte d’épancher leur cœur.

Voilà ce qui rendit si facile, si exécutable, une création qu’on croyait tout artificielle, celle des départements. Si elle eût été une pure conception géométrique, éclose du cerveau de Sieyès, elle n’eût eu ni la force ni la durée que nous voyons ; elle n’eût pas survécu à la ruine de tant d’autres institutions révolutionnaires. Elle fut généralement une création naturelle, un rétablissement légitime d’anciens rapports entre des lieux, des populations que les institutions artificielles du despotisme, de la fiscalité, tenaient divisées. Les fleuves, par exemple, qui, sous l’Ancien-Régime, n’étaient guère que des obstacles (vingt-huit péages sur la Loire ! pour ne donner qu’un exemple), les fleuves, dis-je, redevinrent ce que la nature veut qu’ils soient, le lien du genre humain. Ils formèrent, nommèrent la plupart des départements ; ceux-ci, Seine, Loire, Rhône, Gironde, Meuse, Charente, Allier, Gard, etc., furent comme des fédé-