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Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/223

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« Ainsi finit le meilleur jour de notre vie. » Ce mot que les fédérés d’un village écrivent le soir de la fête à la fin de leur récit, j’ai été tout près de l’écrire moi-même en terminant ce chapitre. Il est fini, et rien de semblable ne reviendra pour moi. J’y laisse un irréparable moment de ma vie, une partie de moi-même, je le sens bien, qui restera là et ne me suivra plus ; il me semble que je m’en vais appauvri et diminué. — Que de choses j’avais à ajouter, que j’ai sacrifiées ! Je ne me suis pas permis une seule note ; la moindre aurait fait une interruption, une discordance peut-être, dans ce moment sacré. Il en aurait fallu beaucoup pourtant ; une foule de détails intéressants réclamaient, voulaient trouver place. Plusieurs des procès-verbaux méritaient d’être imprimés tout entiers (ceux de Romans, de Maubec, de Teste-de-Buch, de Saint-Jean-du-Gard, etc.). Les discours valent moins que les récits ; plusieurs cependant sont touchants ; le texte qui y revient le plus souvent, c’est celui du vieillard Siméon : « Maintenant je puis mourir… » Voir entre autres le procès-verbal de Regnianwez (Renwez ?) près Rocroy.

Chaque pièce, prise à part, est faible. Mais l’ensemble a un charme extraordinaire : la plus grande diversité (provinciale, locale, urbaine, rurale, etc.) dans la plus parfaite unité. Chaque pays accomplit ce grand acte d’unité avec son originalité spéciale. Les fédérés de Quimper se couronnent de chêne breton ; les Dauphinois de Romans (à la porte du Midi) mettent une palme dans la main de la belle fille qui mène la fête. La sérénité courageuse, l’ordre, le bon sens dans le bon cœur, brillent dans ces fédérations dauphinoises. Dans celles de la Bretagne, c’est un caractère de force, de gravité passionnée, un sérieux très près du tragique ; on sent que ce n’est pas un jeu, qu’on est là devant l’ennemi. Dans les montagnes du Jura, au pays des derniers serfs, c’est l’étonnement, le ravissement de la délivrance, de se voir exaltés de la servitude à la liberté, « plus que libres, citoyens ! Français ! supérieurs à toute l’Europe… » Ils fondent un anniversaire de la sainte nuit du 4 août.

Ce qui touche extrêmement, c’est le prodigieux effort de bonne volonté que fait ce peuple, si peu préparé, pour traduire le sentiment profond qui remplit son âme. Ceux de Navarreins, aux Pyrénées, pauvres gens, disent-ils eux-mêmes, perdus dans les montagnes, avec si peu de ressources, n’ayant pas la communauté du langage, bégayant le Français du Nord, offrent