Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/353

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son esprit, l’Ami du peuple en serait venu à exterminer le peuple.

En présence de la nature et de la douleur, Marat devenait très faible ; il ne pouvait, dit-il, voir souffrir un insecte, mais seul, avec son écritoire, il eût anéanti le monde.

Quelques services qu’il ait rendus à la Révolution par sa vigilance inquiète, son langage meurtrier et la légèreté habituelle de ses accusations eurent une déplorable influence. Son désintéressement, son courage, donnèrent autorité à ses fureurs ; il fut un funeste précepteur du peuple, lui faussa le sens, le rendit souvent faible et furieux, à l’image de Marat.

Du reste, cette créature étrange, exceptionnelle, ne peut faire juger des Cordeliers en général. Aucun d’eux, pris à part, ne fait connaître les autres. Il faut les voir réunis à leurs séances du soir, fermentant, bouillonnant ensemble au fond de leur Etna. J’essayerai de vous y conduire. Allons, que votre cœur ne se trouble pas. Donnez-moi la main.

Je veux les prendre au jour même où éclate, triomphe, chez eux, leur génie d’audace et d’anarchie, le jour où, opposant, leur veto aux lois de l’Assemblée nationale, ils ont déclaré que « sur leur territoire » la presse est et sera indéfiniment libre, et qu’ils défendront Marat.

Saisissons-les à cette heure. Le temps va vite, ils changeront. Ils ont encore quelque chose de leur nature primitive. Qu’un an passe seulement, nous