Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/401

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

en péril. En réalité, le péril était peu de chose. La vieille police de Lenoir et Sartine n’était plus. La nouvelle, mal organisée, incertaine et timide, dans les mains de Bailly et de La Fayette, n’avait nulle action sérieuse. Sauf Favras et l’assassin du boulanger François, il n’y eut nulle punition grave en 1790 ni 1791. La Fayette lui-même, loin de souhaiter la dictature, hâta auprès de l’Assemblée la mise en activité des procédures nouvelles, qui achevèrent d’annuler le pouvoir judiciaire. La garde nationale soldée, qui faisait sa vraie force, était composée en partie d’anciens Gardes-françaises, vainqueurs de la Bastille, et qui jouaient à regret le rôle de soldats de police.

Marat vécut aisé, au jour le jour toutefois, au hasard d’une vie errante. Sa toilette bizarre exprimait son excentricité ; sale habituellement, il avait parfois des recherches subites, un luxe partiel et des velléités galantes : un gilet de satin blanc, par exemple, avec un collet gras et une chemise sale. Ce retour de fortune, qui souvent adoucit les hommes, ne fit rien sur lui. Sa vie malsaine, irritante, toute renfermée, conserva sa fureur entière. Il vit toujours le monde du jour étroit, oblique de sa cave par un soupirail, livide et sombre, comme ces murs humides, comme sa face, à lui, qui semblait en prendre les teintes. Cette vie lui plaisait à la longue, il jouissait de l’effet fantastique et sinistre qu’elle donnait à son nom. Il se sentait régner du fond de cette nuit ; il jugeait de là, sans appel, le monde de la lumière, le royaume des