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Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/48

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Girondins et Montagnards, ils sont d’accord là-dessus. Ils parlent toujours du peuple, mais se croient bien au-dessus. Les deux partis également, nous le mettrons en lumière d’une manière évidente, reçurent toute leur impulsion des lettrés, d’une aristocratie intellectuelle.

Les Jacobins portèrent l’orgueil à la seconde puissance ; ils adorèrent leur sagesse. Ils firent de fréquents appels à la violence du peuple, à la force de ses bras ; ils le soldèrent, le poussèrent, mais ne le consultèrent point. Ils ne s’informèrent nullement des instincts populaires qui réclamaient dans les masses contre leur système barbare[1]. Tout ce que leurs hommes votaient dans les clubs de 1793, par tous les départements, se votait sur un mot d’ordre envoyé du Saint des saints de la rue Saint-Honoré. Ils tranchèrent hardiment par des minorités imperceptibles les questions nationales, montrèrent pour la majorité le dédain le plus atroce, et crurent d’une foi si farouche à leur infaillibilité qu’ils lui immo-

  1. L’organe véritable des masses fut l’infortuné Loustalot, rédacteur des Révolutions de Paris, qui mourut à vingt-huit ans, après avoir obtenu un succès tel que la presse, ni avant ni après, n’en peut citer un semblable ; son journal fut tiré parfois, je l’ai fait remarquer, à deux cent mille exemplaires ! Mirabeau tirait à dix mille, la Société centrale des Jacobins à trois mille, etc. — Malgré la légitime colère qu’inspire à Loustalot la contre-révolution (et dont il est mort), il réclame avec une vigueur admirable les droits de l’humanité ; en ce point, il parle hardiment, sans ménagement pusillanime pour sa popularité. Il sent trop bien que c’est le cœur même du peuple qui parle en lui. Il censure les devises menaçantes qui avaient paru à la Fédération, et propose celle-ci : « Vaincre et pardonner. » Il pousse un cri de fureur contre les assassins du boulanger François (octobre 1789) : « Des Français ? des Français ? Non, ces monstres n’appartiennent à aucun pays ; le crime est leur élément, le gibet leur patrie ! »