à coup sûr, était différente ; mais les mots étaient les mêmes. Barnave, je pense, était loyal ; il ne croyait pas que la France pût supporter un gouvernement plus démocratique. Il n’avait pas pour idéal une constitution tout anglaise, ne voulant point de chambre haute, ni confier aux mains du roi le pouvoir qu’il a en Angleterre de dissoudre l’Assemblée. C’est ainsi qu’il s’en explique lui-même dans ses derniers écrits, qui ont l’autorité d’un testament de mort.
Que voulaient Kaunitz et Léopold ? Nous le savons maintenant. D’abord tenir la France bien fermée d’un bon cordon sanitaire, qui irait se resserrant, l’environner peu à peu d’un mur épais de baïonnettes, d’un cercle de fer, c’est leur mot. Pendant ce temps, le roi à l’intérieur exécuterait à la lettre la constitution, de manière à bien montrer qu’elle était inexécutable. La constitution étouffée par cette littéralité même, exécutée au sens propre, comme le patient par le bourreau, les Français s’en dégoûteraient : « Ils ont la tête légère. » Ils se feraient quelque autre mode ; la liberté passerait (comme le café et Racine, selon Mme de Sévigné). C’était tout de gagner du temps, de laisser la France se refroidir et s’ennuyer d’une révolution impossible, de lui faire perdre le premier moment de la furie française, qui est toujours dangereux. Fascinée alors de négociations captieuses, menaçantes tour à tour, éblouie et comme hébétée des tours, passes et détours que joueraient autour d’elle les singes de la diplomatie,