Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/296

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monde et des salons, sigisbées des belles dames, selon la mode italienne, maîtres chez la femme du peuple qui les recevait à genoux et baisait leur blanche main. L’original de ces prêtres italo-français du Comtat fut le bel abbé Maury, fils d’un cordonnier, plus aristocrate que les grands seigneurs ; Maury l’étonnant parleur, le libertin, l’entreprenant, orgueilleux comme un duc et pair, insolent comme un laquais. Le masque de ce Frontin reste précieux pour les artistes, comme type de l’impudence et de la fausse énergie.

Nulle part ailleurs que dans les villes de prêtres on n’apprend à bien haïr. Le supplice de leur obéir créa dans Avignon un phénomène qui ne s’est jamais vu peut-être au même degré : un noir enfer de haine, fort au delà de tout ce qu’a rêvé Dante. Et, chose étrange, cet enfer se trouva dans des jeunes cœurs. Sauf le notaire et un greffier, tous les meneurs ou acteurs principaux des Saint-Barthélemy d’Avignon furent des jeunes gens sortis de familles commerçantes. Il est rare de naître haineux, furieux ; ceux-ci apportaient de loin, dans le souffle et dans le sang, dans le plus profond du cœur, le diabolique héritage des longues inimitiés. Au moment où ils virent en face éclater du sein de la France ce divin flambeau de justice qui jugeait leurs ennemis, ils crurent toutes leurs vieilles haines autorisées par la raison nouvelle, et, violemment épris de la ravissante lumière, ils se mirent à haïr encore en proportion de leur amour.