Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/377

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de Staël avait la faiblesse d’adorer les grands seigneurs. Elle ne donnait pas l’essor complet à son bon et excellent cœur, qui l’aurait mise entièrement du côté du peuple. Ses jugements, ses opinions, tenaient fort à ce travers. En tout, elle avait du faux. Elle admirait, entre tous, le peuple qu’elle croyait éminemment aristocratique, l’Angleterre, révérant la noblesse anglaise, ignorant qu’elle est très récente, sachant mal cette histoire dont elle parlait sans cesse, ne soupçonnant nullement le mécanisme par lequel l’Angleterre, puisant incessamment d’en bas, fait toujours de la noblesse. Nul peuple ne sait mieux faire du vieux.

Il ne fallait pas moins que le grand rêveur, le grand fascinateur du monde, l’amour, pour faire accroire à cette femme passionnée qu’on pouvait mettre le jeune officier, le roué sans consistance, créature brillante et légère, à la tête d’un si grand mouvement. La gigantesque épée de la Révolution eût passé, comme gage d’amour, d’une femme à un jeune fat ! Cela était déjà assez ridicule. Ce qui l’était encore plus, c’est que cette chose hasardée, elle prétendait la faire dans les limites prudentes d’une politique bâtarde, d’une liberté quasi anglaise, d’une association avec les Feuillants, un parti fini, avec La Fayette, à peu près fini. De sorte que la folie n’avait pas même ce qui fait réussir la folie parfois, d’être hardiment folle. Un homme d’esprit, qu’on a de nos jours ridiculement exagéré comme prudence et prévoyance, Talleyrand s’était aussi,