Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/386

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d’un bond immense, au-devant des nations, qui lui faisaient signe et qui l’appelaient. De tels phénomènes qui ont la fatalité des éléments, la force de la nature, sont à peine retardés par les petits accidents. Placez un homme ou plusieurs au point formidable où la nappe énorme du Niagara descend à l’abîme, qu’ils soient forts ou qu’ils soient faibles, qu’ils veuillent ou ne veuillent aller, qu’ils se raidissent ou non, ils descendront tout de même.

Le même soir, 11 janvier, Robespierre fit aux Jacobins un discours infiniment long, infiniment travaillé, sans rien ajouter d’essentiel à ce qu’il avait dit plusieurs fois de l’utilité de la défiance. La fin sur le ton sensible, lamentable et testamentaire, se posant toujours pour martyr et recommandant sa mémoire à la jeune génération, « doux et tendre espoir de l’humanité », qui, reconnaissante, dresserait des autels à la vertu. Il se fiait, disait-il, aux leçons de l’amour maternel ; il espérait que ces enfants « fermeraient l’oreille aux chants empoisonnés de la volupté », et autres banalités morales, gauchement imitées de Rousseau. C’était le ton de l’époque, et l’effet était surtout excellent aux Jacobins. Dans les tribunes, pleines de femmes, ce n’était que bruit de mouchoirs, soupirs contenus, sanglots.

Mais enfin que voulait-il ? Il ne le disait nullement. Que fallait-il faire, selon lui, de cette révolution lancée, de ce mouvement du peuple, de ces sympathies de l’Europe ? — N’était-il pas à craindre que ce grand élan, arrêté, ne se tournât contre soi-