Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/514

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

une foule émue. Les volontaires partaient le lendemain. Le maire de Strasbourg, Dietrich, les invita à un banquet où les officiers de la garnison vinrent fraterniser avec eux et leur serrer la main. Les demoiselles Dietrich, nombre de jeunes demoiselles, nobles et douces filles d’Alsace, ornaient ce repas d’adieu de leurs grâces et de leurs larmes. Tout le monde était ému ; on voyait devant soi commencer la longue carrière de la guerre de la liberté, qui, trente ans durant, a noyé de sang l’Europe. Ceux qui siégeaient au repas n’en voyaient pas tant sans doute. Ils ignoraient que, dans peu, ils auraient tous disparu, l’aimable Dietrich entre autres, qui les recevait si bien, et que toutes ces filles charmantes dans un an seraient en deuil. Plus d’un, dans la joie du banquet, rêvait, sous l’impression de vagues pressentiments, comme quand on est assis, au moment de s’embarquer, au bord de la grande mer. Mais les cœurs étaient bien haut, pleins d’élan et de sacrifice, et tous acceptaient l’orage. Cet élan commun qui soulevait toute poitrine d’un égal mouvement aurait eu besoin d’un rythme, d’un chant qui soulageât les cœurs. Le chant de la Révolution, colérique en 1792, le Ça ira n’allait plus à la douce et fraternelle émotion qui animait les convives. L’un d’eux la traduisit : Allons !

Et, ce mot dit, tout fut trouvé. Rouget de Lisle, c’était lui, se précipita de la salle, et il écrivit tout, musique et paroles. Il rentra en chantant la strophe : Allons, enfants de la patrie ! Ce fut comme un éclair