Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/572

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comme une folle. Ils craignaient que l’affaire n’eût pas lieu ; quoique je n’en fusse pas du tout sûre, je leur disais, comme si je le savais bien, je leur disais qu’elle aurait lieu. « Mais peut-on rire ainsi ? » me disait Mme Danton. — « Hélas ! lui dis-je, cela me présage que je verserai bien des larmes ce soir. » — Il faisait beau ; nous fîmes quelques tours dans la rue ; il y avait assez de monde. Plusieurs sans-culottes passèrent en criant : « Vive la nation ! » Puis des troupes à cheval, enfin des troupes immenses. La peur me prit ; je dis à Mme Danton : « Allons-nous-en. » Elle rit de ma peur ; mais, à force de lui en dire, elle eut peur aussi. Je dis à sa mère : « Adieu, vous ne tarderez pas à entendre sonner le tocsin… » Arrivée chez elle, je vis que chacun s’armait. Camille, mon cher Camille, arriva avec un fusil. Ô Dieu ! je m’enfonçai dans l’alcôve, je me cachai avec mes deux mains et me mis à pleurer. Cependant, ne voulant pas montrer tant de faiblesse et dire tout haut à Camille que je ne voulais pas qu’il se mêlât dans tout cela, je guettai le moment où je pouvais lui parler sans être entendue et lui dis toutes mes craintes. Il me rassura en me disant qu’il ne quitterait pas Danton. J’ai su depuis qu’il s’était exposé. Fréron avait l’air déterminé à périr. « Je suis las de la vie, disait-il, je ne cherche qu’à mourir. » — Chaque patrouille qui venait, je croyais les voir pour la dernière fois. J’allai me fourrer dans le salon qui était sans lumière, pour ne point voir tous ces apprêts… Nos patriotes partirent ;