il fallait encore, chose qui semble contradictoire, qu’une telle âme, vertueuse et forte, eût un moment passionné qui la fît sortir d’elle-même, la lançât dans l’action.
Dans les mauvais jours d’affaissement, de fatigue, quand la foi révolutionnaire défaillait en eux, plusieurs des députés et journalistes principaux de l’époque allaient prendre force et courage dans une maison où ces choses ne manquaient jamais ; maison modeste, le petit hôtel Britannique de la rue Guénégaud, près le Pont-Neuf. Cette rue, assez sombre, qui mène à la rue Mazarine, plus sombre encore, n’a, comme on sait, d’autre vue que les longues murailles de la Monnaie. Ils montaient au troisième étage, et là, invariablement, trouvaient deux personnes travaillant ensemble, M. et Madame Roland, venus récemment de Lyon. Le petit salon n’offrait qu’une table où les deux époux écrivaient ; la chambre à coucher, entr’ouverte, laissait voir deux lits. Roland avait près de soixante ans, elle trente-six, et paraissait beaucoup moins ; il semblait le père de sa femme. C’était un homme assez grand et maigre, l’air austère et passionné. Cet homme, qu’on a trop sacrifié à la gloire de sa femme[1], était un ardent
- ↑ On n’en doutera nullement si on lit les Lettres écrites de Suisse, d’Italie, de Sicile et de Malthe, par M*** (Roland de La Platière), avocat au Parlement, à Mlle *** (Manon Phlipon, depuis Madame Roland), en 1776, 1777, 1778. (Amsterdam, 1780, 6 vol. in-12.) Ce livre, écrit d’une manière inégale, parfois incorrecte et obscure, n’en est pas moins le voyage d’Italie le plus instructif de tous ceux qu’on a faits au dix-huitième siècle. Il témoigne des connaissances infiniment variées de l’auteur, qui embrasse son sujet sous tous les aspects, depuis la musique jusqu’aux plus minutieux détails du