Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/171

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Mlle  de Sombreuil, forte de ce mot, saisit intrépidement son père et le mena dans la cour, l’embrassant et l’enveloppant. Elle était si belle ainsi et si pathétique qu’il n’y eut qu’un cri d’admiration. Quelques-uns pourtant, après tant de sang versé pour ce qu’ils croyaient la justice, se faisaient scrupule de suivre leur cœur, de céder à la pitié, d’épargner le plus coupable. On a dit, sans aucune preuve, mais non pas sans vraisemblance, que, pour donner à Mlle  de Sombreuil la vie de son père, ils exigèrent qu’elle jurât la Révolution, abjurât l’aristocratie et qu’en haine des aristocrates elle goûtât de leur sang.

Que Mlle  de Sombreuil ait ainsi racheté son père, cela n’est pas impossible. Mais on ne lui aurait pas même offert ce traité, ni déféré le serment, si le juge de l’Abbaye n’eût lui-même fait appel à la générosité du peuple, et si la parole de vie ne s’était trouvée dans la bouche de la Mort.

Ce fut le dernier acte du massacre. Maillard s’en alla de l’Abbaye, emportant la vie de quarante-trois personnes qu’il avait sauvées, et l’exécration de l’avenir[1].

  1. Le registre de l’Abbaye tout taché de sang, garde sur les marges ce nom détesté, ordinairement au bas de cette note : tué par le jugement du peuple ou absous par le peuple. Maillard. Son écriture est très belle, très grande, monumentale, noble, posée, celle d’un homme qui se possède entièrement, qui n’a ni trouble ni peur, une parfaite sécurité d’âme et de conscience. — Maillard ne reparaît plus dans toute la Révolution : il resta comme enterré dans le sang. — La belle parole qu’il prononça pour sauver Sombreuil ne peut être révoquée en doute ; nous l’avons retrouvée dans le journal le plus contraire aux hommes de septembre, dans le journal de