Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/320

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banal, le pressoir obligé, le perron du jugement, le carcan seigneurial, la potence, tout l’appareil des vieilles justices ? S’ils ne conservaient pas en nature les droits féodaux, ils les percevaient en argent.

Féodal, ce mot était sans cesse dans la bouche et la pensée du paysan. Il n’en avait pas la science ni l’histoire, mais bien le sens et l’intelligence instinctive. Les vingt ou trente générations qui moururent à la peine, sans monument, sans tradition, avaient pourtant laissé un même testament à leur fils, pour testament un mot qui, bien gardé, devait être pour lui un infaillible gage de la réparation. Le libre laboureur des temps antiques, dépouillé de la liberté par la force ou la ruse, n’ayant ni bien ni titre, ayant perdu sa terre, son corps, hélas ! et sa personne, — que dis-je ? l’âme et le souvenir, — vivait tout entier dans un mot…

Ce mot, répété huit cents ans à voix basse, pour empêcher la prescription, ce mot qui, en 1789, éclata plus haut que la foudre, ce mot qui, en français, signifie violence, tyrannie, injustice, c’est le mot : Féodal.

À tout ce que vous auriez objecté au paysan, à tout ce que vous lui auriez apporté de titres et d’actes, il remuait la tête, il disait : Féodal.

La Constituante, en supprimant les droits féodaux, fit effort pour établir une distinction subtile. Il y a deux féodalités, disait-on au paysan : la féodalité dominante, imposée par force à vos ancêtres, et celle-là nous l’abolissons ; mais il y a aussi la féoda-