Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/355

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blée un grand nombre d’ennemis… » — « Tous ! tous ! » s’écrie l’Assemblée, en se levant presque entière. Cela même ne l’émut pas. Lançant outrage pour outrage : « Je vous rappelle à la pudeur… »

Marat était audacieux, mais nullement brave. Ce qui l’enhardissait ici, c’est qu’il savait parfaitement qu’il parlait sous les yeux des siens. La bataille était prévue ; quelques paroles imprudentes de Barbaroux aux Jacobins l’avaient annoncée la veille. Les maratistes, avertis, avaient rempli les tribunes ; ils sentaient bien que c’était le procès de septembre qui se faisait, et le leur. Tout ce qu’il y avait d’hommes compromis étaient venus voir si la Convention oserait entrer, par la punition de Marat, dans les voies de la justice. Lui frappé, ils pensaient bien qu’on irait à eux. On les connaissait en grand nombre, par noms, professions, adresses. Ces gens-là devaient périr avec lui ou triompher avec lui. Sa destinée était la leur. Qu’on juge s’ils furent exacts à occuper les tribunes ! Dès la nuit, ils étaient aux portes, faisaient queue, se reconnaissaient, triaient la foule, en quelque sorte, maltraitaient et supplantaient tout homme d’un autre parti ; s’ils laissaient passer quelqu’un qui n’était pas de leur bande, c’était quelque ouvrier des métiers inférieurs, quelque simple, qu’ils faisaient bientôt des leurs. Le costume bizarre de Marat, son collet gras, son cou débraillé, faisaient bon effet sur ces gens. Ils ne jugeaient pas aisément de tout ce qu’il y avait là d’ambitieux dans la négligence et d’ostentation dans la saleté.