Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/418

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À les considérer froidement et se préservant de l’enthousiasme, elles présentaient un spectacle étrange, extraordinaire : celui d’un grand peuple, qui, sans ménagement ni réserve, sans souci de la vie ou de l’intérêt, sans la moindre attention au passé, à l’histoire, à la vieille diplomatie, aux traités, au droit écrit, portait au monde la philosophie du dix-huitième siècle au bout de ses baïonnettes. Ces principes, avec lesquels les philosophes semblèrent trop souvent jouer eux-mêmes, étaient pris au sérieux par leurs disciples armés, appliqués avec une sincérité violente que rien n’arrêtait. Les transports philanthropiques de Raynal et de Diderot étaient là, non en papier, en déclamations, mais en actes, réalisés bien ou mal dans les effusions aveugles d’une sensibilité terrible qui ne mesurait, ne calculait rien.

Toute cette philosophie leur flottait, comme on peut penser, un peu vague dans l’esprit. Et leur cœur n’en était peut-être que plus violemment possédé. C’était un caractère singulier, embarrassant, de la Révolution si jeune, de n’avoir encore aucun symbole précis, point d’élément traditionnel, point de monument littéraire, où la pensée pût se prendre. Et cela même est une cause des furieux accès où cette sensibilité, vague, aveugle, nullement régularisée, s’emportait parfois. Une seule chose représentait pour eux le credo révolutionnaire, une chanson, la Marseillaise. Ils la savaient, la chantaient, la répétaient, jusqu’à extinction de voix et