Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/427

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majestueusement drapés dans leurs manteaux blancs.

Ce que les nôtres leur enviaient encore davantage, c’était d’avoir déjeuné. Les Autrichiens attendaient, restaurés parfaitement ; Mons était derrière et fournissait tout. Pour les Français, on leur dit que la bataille ne serait pas longue et qu’il valait mieux déjeuner vainqueurs.

Un Belge, vieillard vénérable du village de Jemmapes, qui, seul de tout le pays, tout le monde étant en fuite, resta et vit la bataille des hauteurs voisines, nous a dit l’ineffaçable impression qu’il a conservée. Au moment où nos colonnes se mirent en mouvement, où le brouillard de novembre, commençant à se lever, découvrit l’armée française, un grand concert d’instruments se fit entendre, une musique grave, imposante, remplit la vallée, monta aux collines, une harmonie majestueuse semblait marcher devant la France. Les musiques de nos brigades, partant toutes au même signal, ouvraient la bataille par la Marseillaise ; elles la jouèrent plusieurs fois, et dans les moments d’intervalle, où les rafales effroyables du bruit des canons faisaient quelque trêve, on entendait l’hymne sacré. La rage de l’artillerie ne pouvait étouffer entièrement l’air sublime des guerres fraternelles. Le cœur du jeune homme, saisi de cette douceur inattendue, faillit lui manquer. L’artillerie ne lui faisait rien ; la musique le vainquit. C’était, comment le méconnaître ? c’était l’armée de la Justice, venant rendre au monde ses droits oubliés, la Fraternité elle-même venant déli-