Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/205

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nécessaire d’une institution monstrueuse : le mépris profond de l’espèce humaine[1].

Tout ceci, depuis soixante ans, a éclaté de plus en plus pour l’instruction du monde. Les peuples, dès longtemps, auraient dû être avertis. Que la lumière vient lentement ! La France même, en 1792, n’était pas bien sûre encore du rôle qu’elle devait prendre. La Révolution était loin de connaître sa grandeur. Elle ne savait pas elle-même son nom intime, mystérieux, qui est : le jugement des rois.

Le dirons-nous ? Elle manqua d’audace. Le jugement d’un roi était peu. Du moment qu’on avait lancé les décrets de la guerre révolutionnaire, levé l’épée contre les rois, Louis XVI n’était plus qu’un accessoire, un incident du grand procès. Il fallait donner à cette lutte le caractère d’un jugement

  1. Toute la terre, à l’heure même où nous écrivons ceci, est rouge du sang versé par les rois. Le monde est en deuil. Ce n’est pas un médiocre effort pour l’historien de continuer ce livre, de détourner les yeux de l’infortune des peuples innocents et de concentrer sa pitié sur un roi coupable. Non, mon cœur, je dois le dire, ne peut s’enfermer au Temple. Il est sur toutes les routes, à la suite de ces longues processions de femmes et d’enfants en noir, avec ces fils des martyrs qui vont mendiant leur pain. Les familles des héros du Danube, qui, d’une générosité inouïe, partagèrent, en 1848, tout leur bien avec le peuple, elles tendent la main aujourd’hui. Qu’elles reçoivent ce que j’ai, cette parole et cette larme… Recevez-la, ruines des villes froidement écrasées sous les bombes, qui restez là pour témoigner de la paternité des rois ! Recevez-la, tombes muettes, sans inscriptions, sans honneurs, qui, de l’Apennin aux Alpes, marquez d’une ligne funèbre le chemin de Radetzky… Je n’ose regarder au fond des fossés de Vienne ; j’aurais peur d’y voir encore ces barbares meurtres d’enfants, ces cadavres mutilés, ces ossements marqués du couteau croate, de la dent des chiens… Ah ! pauvre légion académique, vous les braves entre les braves et les bons entre les bons, soldats de vingt ans, de quinze ans, échappés à peine aux mères désolées, fleur héroïque de l’Allemagne, fleur de la poésie et de la pensée, vous avez laissé au monde une trop cruelle histoire ! On commencera souvent, mais qui pourra achever ?…