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Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/243

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de clubs tranchaient si facilement, l’armée ne l’envisageait qu’avec une extrême réserve. Nulle insinuation ne put la décider à exprimer une opinion ou pour ou contre le roi. Réserve pleine de bon sens. Elle n’avait nul élément pour résoudre une question si obscure. Elle croyait le roi coupable, mais elle voyait parfaitement qu’on n’avait aucune preuve. Elle ne désirait pas la mort[1].

Cette modération de l’armée était d’autant plus remarquable qu’elle semblait devoir être exaspérée par ses souffrances. La France l’abandonnait. La lutte acharnée de Cambon et de Dumouriez, la désorganisation absolue du ministère, avaient porté au comble le dénuement de nos soldats. Notez que généralement ce n’étaient pas des soldats. Beaucoup étaient des hommes de métiers sédentaires, qui, ayant toujours vécu sous un toit, ignoraient entièrement l’inclémence de la nature, la dureté des hivers du Nord. Il y avait en grand nombre des artisans, des artistes, un bataillon, entre autres, tout de peintres et de sculpteurs. Ces jeunes gens, partis en frac, blanches culottes et bas de coton, légers sous le vent de bise, n’avaient au fond de leur sac, pour nourrir leur enthousiasme, que la Marseillaise et quelque journal chaudement patriotique. Jamais une armée plus pauvre n’entra dans un pays si riche. Et ce contraste même ajoutait

  1. Ce qui le prouve d’une manière, selon nous, indubitable, c’est que le courtisan de l’armée, qui faisait tout pour la gagner, le jeune duc de Chartres, se déclara contre la mort du roi et désapprouva le vote de son père.