Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/30

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naissances au soin des forêts séculaires ; sans pitié, sa dent niveleuse blesse à mort l’arbre féodal.

Les forêts nationales n’étaient guère mieux traitées. Le roi nouveau, le peuple, n’avait pas grand égard pour son propre domaine. Le paysan, pour faire une paire de sabots, choisissant tel sapin, marqué par la marine, qui eût fait un mât de vaisseau, l’attaquait au pied par la flamme, le gâtait, le coupait, l’abattait. Il saccageait, rasait dans la montagne le bois même qui l’hiver eût soutenu les neiges, arrêté l’avalanche, protégé le village.

Il ne fallait pas un regard vulgaire, une mesure d’attention commune, pour reconnaître, au milieu de tous ces désordres accidentels, l’ordre nouveau qui se fondait.

Une même voix, sur tous ces bruits, s’élevait pourtant distincte, une jeune voix joyeuse, immensément forte et puissante, le Ça ira ! de la conquête, et non la voix de l’anarchie.

Parmi les bandes de volontaires qui, sans bas ni souliers, s’en allaient gaiement vers le Nord, vous auriez vu aussi, sur toutes les routes, d’autres bandes, non moins ardentes, celles des paysans qui s’en allaient à la criée des biens nationaux. Jamais armée à la bataille, jamais soldats au feu, n’alla d’un cœur si âpre. C’était la conquête pour eux, c’était la revanche sur l’Ancien-Régime ; deux fois joyeux, et de gagner, et de gagner sur l’ennemi.

Affaire tellement capitale et suprême pour la Révolution, qu’elle ne sent pas même les crises de la