Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/323

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son père Chatham. Il eut toujours présent le mot expressif d’un vieux puritain : « Le meilleur de l’amour, c’est la haine. » Il haït si fort qu’il se fît aimer.

Aimer de la vieille Angleterre féodale, obstinée dans l’injustice, qui, devant la Révolution, se mourait de haine et de peur, croyant voir, au premier vent d’est, débarquer les Droits de l’homme.

Aimer de l’Angleterre marchande, jalousement couchée sur la mer, comme sur un fief anglais ; elle comptait bien cette fois sur l’anéantissement de la marine française.

Une autre Angleterre encore se formait, dévouée à M. Pitt, une grande nation oisive, qui, sous lui, a augmenté, engraissé d’une manière monstrueuse : je parle du peuple de la Bourse et des créanciers de l’État. La terre est partagée en France ; en Angleterre, c’est la rente. Tous s’y lançaient, tête baissée. Tous, le matin, au réveil, couraient à la Bourse, et, ravis, enthousiastes, voyaient toujours monter le flot. Le cinq pour cent, de quatre-vingt-douze atteignit cent vingt ; Pitt fut un grand homme. Le quatre, de soixante-quinze, alla à cent cinq ; Pitt fut un héros. Le trois, de cinquante-sept, monta à quatre-vingt-dix-sept ; Pitt fut presque un dieu !

Comme il arrive à toute époque d’engouement aveugle, on lui tenait compte de tous les bienfaits du hasard et de la nécessité. Plus les capitaux fugitifs de la France et de la Hollande affluaient en Angleterre, plus on admirait M. Pitt.