Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/511

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de guerre ; les effets, déjà sensibles en mars, sont terribles en avril, en mai[1].

Bordeaux, qui avait tant perdu, qui, surtout depuis le désastre de Saint-Domingue, avait vu tarir ce fleuve d’or qui coulait dans ses murs (près de quatre-vingts millions par an !), Bordeaux n’en avait pas moins été admirable, héroïque. En mars encore, on l’a vue, avant toute la France, courir dans la Vendée au secours de la République. Mais, dans ce même mois, la mer lui est fermée. La grande ville étouffe, elle pleure, elle crie à la Convention. Le cri arrive sous la forme d’une pétition girondine, sous le prétexte d’une réclamation pour l’inviolabilité des représentants girondins.

Pour Marseille, ce qui la tua, ce fut l’excès même de son patriotisme, qui fit partir pour la frontière la meilleure partie de sa population et la plus patriote.

  1. Il faut ici bien distinguer les dates. C’est le 4 et le 5 mars (et non en mai), c’est sous la menace de l’assassinat, que Vergniaud avait écrit aux Bordelais les lettres qu’on lui a reprochées et que l’on répandit en mai, comme s’il venait de les écrire. Il leur écrit non de partir, mais : « Tenez-vous prêts ; si l’on m’y force, je vous appelle de la tribune pour venir nous défendre. Si vous développez une grande énergie, vous forcerez à la paix les hommes qui provoquent à la guerre civile. » Bordeaux, à ce moment, où ses gardes nationaux, avant Paris, avant toute la France, allaient combattre la Vendée, Bordeaux apparaissait alors comme ce qu’il y avait de plus républicain dans la République. Il n’en fut pas ainsi plus tard. Du reste, l’appel de Vergniaud n’était nullement menaçant : « Vous forcerez à la paix… » L’homme qui, le 20 avril, poussa la crainte de la guerre civile jusqu’à repousser la convocation pacifique des assemblées primaires, avait-il pu, le 5 mars, exprimer le vœu impie d’un conflit à main armée ?
    xxxxLes Jacobins eux-mêmes, quoiqu’ils eussent à volonté une petite armée dans Paris, n’avaient rien négligé pour appeler des forces départementales. Le 17 avril, le Jacobin Desfieux rappelait à la société « qu’elle avait envoyé deux courriers pour appeler des Marseillais, qu’ils étaient en marche pour venir, qu’ils arrivaient au nombre de six mille ».