Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/53

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moins averti des réalités, allait d’autant mieux planant dans ses rêves, insoucieux de la mort, dominant la vie, souriant avec mélancolie aux menaces du destin.

Il avait un monde en lui, un monde d’or qui le rendait peu sensible au monde de fer : la possession de son génie, de son libre cœur, dans l’amour. Une femme belle et ravissante, pleine de grâce morale, touchante par son talent, par ses vertus d’intérieur, par sa tendre piété filiale, avait recherché, aimé ce paresseux génie, qui dormait sur les hauteurs ; elle que la foule suivait, elle s’était écartée de tous pour monter à lui. Vergniaud s’était laissé aimer ; il avait enveloppé sa vie dans cet amour et il y continuait ses rêves. Trop clairvoyant toutefois pour ne pas voir que tous deux suivaient les bords d’un abîme, où sans doute il faudrait tomber. Autre tristesse ; cette femme accomplie qui s’était donnée à lui, il ne pouvait la protéger. Elle appartenait, hélas ! au public ; sa piété, le besoin de soutenir ses parents, l’avaient menée sur le théâtre, exposée aux caprices d’un monde si orageux. Celle qui voulait plaire à un seul, il lui fallait plaire à tous, partager entre cette foule avide de sensations, hardie, immorale, le trésor de sa beauté auquel un seul avait droit. Chose humiliante et douloureuse ! terrible aussi à faire trembler, en présence des factions, quand l’immolation d’une femme pouvait être, à chaque instant, un jeu cruel des partis, un barbare amusement.

Là était bien vulnérable le grand orateur. Là crai-