Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 7.djvu/126

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fusillades quotidiennes de Charette au coin des bois, qui en tint les procès-verbaux ? Pour commencer de tels procès, il fallait aller sous terre chercher les ossements blanchis, pouvoir dire : « Ceci est un meurtre vendéen ou patriote », noter les périls, les détresses, les terreurs où ces actes furent commis, retrouver les fureurs populaires qui souvent les ont dictés.

Le plus habile homme du monde, le plus juste, si l’on veut, qui, loin de l’action et des intérêts, passa sa vie en discours, entre la maison Duplay, les Jacobins et l’Assemblée, tournant toujours sur un point, sans mouvement que d’une maison à l’autre de la rue Saint-Honoré, pouvait-il apprécier la destinée de ces terribles voyageurs de la Révolution ? des hommes de la fatalité, qu’elle lança un matin hors de toutes les habitudes, hors des réalités connues, loin du centre et de la règle qu’elle força, par l’imprévu qui les prenait à la gorge, de fouler la loi aux pieds pour sauver la loi, de faire des crimes pour fuir le crime, d’éteindre la lumière du monde en laissant périr le seul peuple en qui elle parût encore ?

C’étaient des hommes sacrifiés, perdus ; ils le sentaient bien. Ils rentraient, un à un, dans le monde des vivants, ces infortunés revenants, avec un confus souvenir de ce qu’eux-mêmes avaient fait. Sous une impulsion surhumaine et d’un prodigieux bond, ils avaient sauté un abîme… Vous leur auriez proposé de recommencer à froid, ils