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la ville, devant l’embouchure de la Sèvre et comme devant Charette, que le comité de Nantes noya d’abord quatre-vingts prêtres. La rive gauche frémit du coup, et le contre-coup dans Nantes frappa ce monde mystérieux de femmes et d’agents secrets qu’on ne savait où saisir.

C’étaient ces prêtres que la population voulait noyer elle-même (en septembre 1792). Elle ne prit pas mal la chose[1]. On y trouva sur-le-champ des gens de bonne volonté qui se firent exécuteurs.

Une tentative de révolte aux prisons amena une seconde noyade (nuit du 9 au 10 décembre).

Carrier, quoiqu’il n’eût donné aucun ordre écrit, n’était pas trop rassuré du côté de la Convention. Il la tâta par cette lettre étrange où les choses semblaient attribuées au hasard. Après avoir annoncé un succès, il ajoutait : « Mais pourquoi faut-il que cet événement soit accompagné d’un autre ? Cinquante-huit prêtres, la nuit dernière, ont été engloutis dans cette rivière… Quel torrent révolutionnaire que cette Loire ! »

Plus tard, il écrivit à la Convention que les pri-

  1. Si l’on n’aie souvenir des scènes de la retraite de Moscou, il est impossible de comprendre l’état de démoralisation, d’abandon de soi et de tout, où était la ville de Nantes. Un marchand qui vit encore faisait naguère à un de nos amis l’étonnant aveu qu’on va lire : « Nous étions épuisés de jeûnes et de veilles ; de trois nuits, nous en passions deux. Une nuit, deux de nos camarades défaillirent dans une patrouille ; nous les mîmes sur des brancards et les emportâmes. Mais les forces nous manquèrent aussi… Le croira-t-on ? J’ai peine à le croire moi-même… Nous posâmes les brancards et les laissâmes en pleine rue. Le lendemain, ils étaient morts ; on les retrouva gelés. » Des gens qui s’abandonnaient eux-mêmes à ce point devaient, à plus forte raison, se soucier peu de la vie des Vendéens, auteurs d’une telle misère.