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jure qu’un de nous deux tombera dans le fossé[1]. »

Au moment même, la sentinelle approche, aussi troublée que le gouverneur, et, s’adressant à Thuriot : « De grâce, Monsieur, montrez-vous, il n’y a pas de temps à perdre ; voilà qu’ils s’avancent… Ne vous voyant pas, ils vont attaquer. » Il passa la tête aux créneaux, et le peuple, le voyant en vie et fièrement monté sur la tour, poussa une clameur immense de joie et d’applaudissement.

Thuriot descendit avec le gouverneur, traversa de nouveau la cour, et, parlant encore à la garnison : « Je vais faire mon rapport ; j’espère que le peuple ne se refusera pas[2] à fournir une garde bourgeoise qui garde la Bastille avec vous. »

Le peuple s’imaginait entrer dans la Bastille à la sortie de Thuriot. Quand il le vit partir pour faire son rapport à la Ville, il le prit pour traître et le menaça. L’impatience allait jusqu’à la fureur ; la foule prit trois invalides et voulait les mettre en pièces. Elle s’empara d’une demoiselle qu’elle croyait être la fille du gouverneur ; il y en avait qui voulaient la brûler, s’il refusait de se rendre. D’autres l’arrachèrent de leurs mains.

« Que deviendrons-nous, disaient-ils, si la Bastille n’est pas prise avant la nuit ?… » Le gros Santerre, un brasseur que le faubourg s’était donné pour commandant, proposait d’incendier la place en y lançant

  1. Récit de la conduite de M. Thuriot, à la suite de Dussaulx, Œuvre des sept jours, p. 408. — Comparer le Procès-verbal des électeurs, I, 310.
  2. Cette fière et audacieuse parole est rapportée par les assiégés. (Voir leur déclaration, à la suite de Dussaulx, p. 449.)