Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/253

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même race, une des grandes nations du monde, passaient inaperçus ! Pourquoi ? C’est le fond même de leur misère ; battus d’une mer orageuse de cent peuples divers, changeant toujours de maîtres, ils lassaient l’attention, ils troublaient le regard de leur apparente mobilité. Le vertige venait à considérer leur histoire, comme le voyageur qui, assis au bord du Danube, contemplant son cours orageux, voudrait fixer des yeux, saisir, compter la vague qui toujours va montant sur la vague, puis las, découragé, détournerait les yeux, plaignant son travail inutile.

Le flot varie sans cesse, le fond ne varie pas. La Roumanie, de Trajan jusqu’à, nous, se reste fidèle à elle-même, fixe en son génie primitif. Peuple né pour souffrir, la nature l’a doué de deux choses qui font durer la patience, l’élasticité, qui font que, toujours courbée, toujours elle se relève. Ne la comparez pas aux monuments romains, aux voies éternelles qui sillonnent son territoire. C’est plutôt la résistance, la forte et souple résistance des digues de fascines où l’Océan se brise ; il aurait emporté des digues de granit.

Le fond de cette résistance n’est point la sombre acceptation du mal, le triste fanatisme de l’autre rive du Danube, cette mort du cœur qui a stérilisé le monde musulman non, c’est un principe vivant, l’amour obstiné du passé, le tendre attachement à cette infortuée patrie, qu’on aime plus, plus elle est malheureuse. Le Roumain ne la quitte jamais que pour y revenir. Il garde, invariable, tout ce qui lui vient de ses pères, l’habit, les mœurs, la