Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/390

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temps se faire corps ? Ses assauts, ses tentatives ont-elles une réalité ? Pécherait-elle charnellement, en subissant l’invasion de celui qui rôde autour d’elle ? Serait-ce un adultère réel ?… » Détour subtil par lequel il alanguit quelquefois, énerve sa résistance. « Si je ne suis rien qu’un souffle, une fumée, un air léger (comme beaucoup de docteurs le disent), que craignez-vous, âme timide, et qu’importe à votre mari ? »

C’est le supplice des âmes, pendant tout le Moyen-âge, que nombre de questions que nous trouverions vaines, de pure scolastique, agitent, effrayent, tourmentent, se traduisent en visions, parfois en débats diaboliques, en dialogues cruels qui se font à l’intérieur. Le démon, quelque furieux qu’il soit dans les démoniaques, reste un esprit toutefois tant que dure l’Empire romain, et encore au temps de saint Martin, au cinquième siècle. À l’invasion des Barbares, il se barbarise et prend corps. Il l’est si bien, qu’à coups de pierres il s’amuse à casser la cloche du couvent de saint Benoit. De plus en plus, pour effrayer les violents envahisseurs de biens ecclésiastiques, on incarne fortement le diable ; on inculque cette pensée qu’il tourmentera les pécheurs, non d’âme à âme seulement, mais corporellement dans leur chair, qu’ils souffriront des supplices matériels, non des flammes idéales, mais bien en réalité ce que les charbons ardents, le gril ou la broche rouge peuvent donner d’exquises douleurs.

L’idée des diables tortureurs, infligeant aux âmes des morts des tortures matérielles, fut pour l’Église une mine d’or. Les vivants, navrés de douleur, de