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Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/396

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Elle marcha droit à la ville. Le premier mot était vert. Elle vit pendre à la porte d’un marchand une robe verte (couleur du Prince du monde). Robe vieille, qui, mise sur elle, se trouva jeune, éblouit. Elle marcha, sans s’informer, droit à la porte d’un juif, et elle y frappa un grand coup. On ouvre avec précaution. Ce pauvre juif, assis par terre, s’était englouti de cendre. « Mon cher, il me faut cent livres ! — Ah ! madame, comment le pourrais-je ? Le prince-évêque de la ville, pour me faire dire où est mon or, m’a fait arracher les dents[1]… Voyez ma bouche sanglante… — Je sais, je sais. Mais je viens chercher justement chez toi de quoi détruire ton évêque. Quand on soufflète le pape, l’évêque ne tiendra guère. Qui dit cela ? C’est Tolède[2]. »

Il avait la tête basse. Elle dit, et elle souffla… Elle avait une âme entière, et le diable par-dessus. Une chaleur extraordinaire remplit la chambre. Lui-même sentit une fontaine de feu. « Madame, dit-il, madame, en la regardant en dessous, pauvre, ruiné comme je suis, j’avais quelques sous en réserve pour nourrir mes pauvres, enfants. — Tu ne t’en repentiras pas, juif… Je vais te faire le grand serment dont on meurt… Ce que tu vas me donner, tu le recevras dans huit jours et de bonne heure, et le matin… Je

  1. C’était une méthode fort usitée pour forcer les juifs de contribuer. Le roi Jean-sans-Terre y eut souvent recours.
  2. Tolède paraît avoir été la ville sainte des sorciers, innombrables en Espagne. Leurs relations avec les Maures, tellement civilisés, avec les Juifs, fort savants et maîtres alors de l’Espagne (comme agents du fisc royal), avaient donné aux sorciers une plus haute culture, et ils formaient à Tolède une sorte d’université. Au seizième siècle, on l’avait christianisée, transformée, réduite à la magie blanche. Voir la Déposition du sorcier Achard, sieur de Beaumont, médecin en Poitou. Lancre, Incrédulité, p. 781.