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Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/506

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Boguet, en réalité, est un vrai légiste, scrupuleux même, à sa manière. Il blâme la perfidie dont on usait dans ces procès ; il ne veut pas que l’avocat trahisse son client ni que le juge promette grâce à l’accusé pour le faire mourir. Il blâme les épreuves si peu sûres auxquelles on soumettait encore les sorcières. « La torture, dit-il, est superflue ; elles n’y cèdent jamais. » Enfin il a l’humanité de les faire étrangler avant qu’on les jette au feu, sauf toutefois les loups-garous, « qu’il faut avoir bien soin de brûler vifs. » Il ne croit pas que Satan veuille faire pacte avec les enfants : « Satan est fin ; il sait trop bien qu’au-dessous de quatorze ans ce marché avec un mineur pourrait être cassé pour défaut d’âge et de discrétion. » Voilà donc les enfants sauvés ? Point du tout ; il se contredit ; ailleurs, il croit qu’on ne purgera cette lèpre qu’en brûlant tout, jusqu’aux berceaux. Il en fût venu là s’il eût vécu. Il fit du pays un désert. Il n’y eut jamais un juge plus consciencieusement exterminateur.

Mais c’est au Parlement de Bordeaux qu’est poussé le cri de victoire de la juridiction laïque dans le livre de Lancre : Inconstance des démons (1612). L’auteur, homme d’esprit, conseiller de ce Parlement, raconte en triomphateur sa bataille contre le Diable au pays basque, où, en moins de trois mois, il a expédié je ne sais combien de sorcières, et, ce qui est plus fort, trois prêtres. Il regarde en pitié l’Inquisition d’Espagne, qui, près de là, à Logroño (frontière de Navarre et de Castille), a traîné deux ans un procès et fini maigrement par un petit auto-da-fé, en relâchant tout un peuple de femmes.