Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/558

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s’épouvantèrent elles-mêmes. Quelques-unes en étaient malades, ou malades d’esprit. Mais ces peurs, ces illusions, se mêlant aux scandales de ville dont on leur parlait trop le jour, le revenant des nuits, ce fut Grandier. Plusieurs dirent l’avoir vu, senti la nuit près d’elles, audacieux, vainqueur, et s’être réveillées trop tard. Était-ce illusion ? Étaient-ce plaisanteries de novices ? Était-ce Grandier qui avait acheté la portière ou risqué l’escalade ? On n’a jamais pu l’éclaircir.

Les trois dès lors crurent le tenir. Ils suscitèrent d’abord dans les petites gens qu’ils protégeaient deux bonnes âmes qui déclarèrent ne pouvoir plus garder pour leur curé un débauché, un sorcier, un démon, un esprit fort, qui, à l’église, « pliait un genou et non deux » ; enfin qui se moquait des règles, et donnait des dispenses contre les droits de l’évêque. — Accusation habile qui mettait contre lui l’évêque de Poitiers, défenseur naturel du prêtre, et livrait celui-ci à la rage des moines.

Tout cela monté avec génie, il faut l’avouer. En le faisant accuser par deux pauvres, on trouva très utile de le bâtonner par un noble. En ce temps de duel, l’homme impunément bâtonné perdait dans le public, il baissait chez les femmes. Grandier sentit la profondeur du coup. Comme en tout il aimait l’éclat, il alla au roi même, se jeta à ses genoux, demanda vengeance pour sa robe de prêtre. Il l’aurait eue d’un roi dévot ; mais il se trouva là des gens qui dirent au roi que c’était affaire d’amour et fureur de maris trompés.

Au tribunal ecclésiastique de Poitiers, Grandier fut