Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/633

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en face de la victime sanglante, pâle, affaiblie, d’autant plus agitée. Tout homme aurait été ému. Quel aveu plus naïf, plus violent de sa dépendance, du besoin absolu qu’elle avait de le voir ? Cet aveu, exprimé par le sang, les blessures, plus qu’aucune parole, devait aller au cœur. C’était un abaissement. Mais qui n’en aurait eu pitié ? Elle avait donc un moment de nature, cette innocente personne ? Dans sa vie courte et malheureuse, la pauvre jeune sainte, si étrangère aux sens, avait donc une heure de faiblesse ? Ce qu’il avait eu d’elle à son insu, qu’était-ce ? Peu ou rien. Avec l’âme, la volonté, il allait avoir tout.

La Cadière est fort brève, comme on peut croire, sur tout cela. Dans sa déposition, elle dit publiquement qu’elle perdit connaissance et ne sut trop ce qui se passa. Dans un aveu à son amie la dame Allemand (p. 178), sans se plaindre de rien, elle fait tout comprendre.

En retour d’un si grand élan de cœur, d’une si charmante impatience, que fit Girard ? Il la gronda. Cette flamme qui eût gagné tout autre, l’eût embrasé, le refroidit. Son âme de tyran ne voulait que des mortes, purs jouets de sa volonté. Et celle-ci, par cette forte initiative, l’avait forcé de venir. L’écolière entraînait le maître. L’irritable pédant traita cela comme il eût fait d’une révolte de collège. Ses sévérités libertines, sa froideur égoïste dans un plaisir cruel, flétrirent l’infortunée, qui n’en eut rien que le remords.

Chose non moins choquante. Le sang versé pour lui n’eut d’autre effet que de lui sembler bon à