Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/672

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Chaudon. Toulon alla si loin pour sa pauvre compatriote, qu’on y voulait brûler la maison des jésuites.

Le plus touchant de tous les témoignages vint à la Cadière d’Ollioules. Une simple pensionnaire, Mlle Agnès, toute jeune et timide qu’elle fût, suivit l’élan de son cœur, se jeta dans cette mêlée de pamphlets, écrivit, imprima l’apologie de la Cadière.

Ce grand et profond mouvement agit dans le Parlement même. Les ennemis des Jésuites en furent tout à coup relevés, raffermis, jusqu’à braver les menaces d’en haut, le crédit des jésuites, la foudre de Versailles que pouvait leur lancer Fleury[1].

Les amis même de Girard, voyant leur nombre diminuer, leur phalange s’éclaircir, désiraient le jugement. Il eut lieu le 11 octobre 1731.

Personne n’osa reprendre, en présence du peuple, les conclusions féroces du parquet pour faire étrangler la Cadière. Douze conseillers immolèrent leur honneur, dirent Girard innocent. Des douze autres, quelques jansénistes le condamnaient au feu, comme sorcier ; et trois ou quatre, plus raisonnables, le condamnaient à mort, comme scélérat. Douze étant contre douze, le président Lebret allait départager la cour. Il jugea pour Girard. Acquitté de

  1. Une anecdote grotesque symbolise, exprime à merveille l’état du Parlement. Le rapporteur lisait son travail, ses appréciations du procès de sorcellerie, de la part que le diable pouvait avoir en cette affaire. Il se fait un grand bruit. Un homme noir tombe par la cheminée… Tous se sauvent, effrayés, moins le seul rapporteur, qui, embarrassé dans sa robe, ne peut bouger… L’homme s’excuse. C’est tout bonnement un ramoneur qui s’est trompé de cheminée (Pappon, IV, 439). — On peut dire qu’en effet une terreur, celle du peuple, du démon populaire, fixa le Parlement, comme ce juge engagé par sa robe.