Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/681

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vive (oserai-je dire acérée ?) des étoiles faisait honte à la lune, et résistait à l’aube. Avant qu’elle parût, puis pendant le combat des deux lumières, la transparence prodigieuse de l’air permettait de voir et d’entendre à des distances incroyables. Je distinguais tout à deux lieues. Les moindres accidents des montagnes lointaines, arbre, rocher, maison, pli de terrain, tout se révélait dans la plus fine précision. J’avais des sens de plus, je me trouvais un autre être, dégagé, ailé, affranchi. Moment limpide, austère, si pur !… Je me disais : « Mais quoi ! Est-ce que je serais homme encore ? »

Un bleuâtre indéfinissable (que l’aube rosée respectait, n’osait teinter), un éther sacré, un esprit, faisait toute nature esprit.

On sentait pourtant un progrès, de lents et de doux changements. Une grande merveille allait venir, éclater et éclipser tout. On la laissait venir, on ne la pressait pas. La transfiguration prochaine, les ravissements espérés de la lumière, n’ôtaient rien au charme profond d’être encore dans la nuit divine, d’être à demi caché, sans se bien démêler du prodigieux enchantement… Viens, Soleil ! On t’adore d’avance, mais tout en profitant de ce dernier moment de rêve…

Il va poindre… Attendons dans l’espoir, le recueillement.