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première lueur de l’aube, et suivant un ruisseau, s’entend appeler d’une voix très douce, mais craintive et tremblante. Et il voit là un objet de pitié, une blanche figure de femme à peu près nue, sauf un petit caleçon. Honteuse, frissonnante, elle était blottie dans les ronces. Il reconnaît une voisine ; elle le prie de la tirer de là. « Qu’y faisiez-vous ? — Je cherchais mon âne. » — Il n’en croit rien, et alors elle fond en larmes. La pauvre femme, qui bien probablement dans son somnambulisme sortait du lit de son mari, se met à s’accuser. Le diable l’a menée au Sabbat ; en la ramenant, il a entendu une cloche et l’a laissée tomber. Elle tâcha d’assurer sa discrétion en lui donnant un bonnet, des bottes et trois fromages. Malheureusement le sot ne put tenir sa langue ; il se vanta de ce qu’il avait vu. Elle fut saisie. Grillandus, alors absent, ne put faire son procès, mais elle n’en fut pas moins brûlée. Il en parle avec complaisance et dit (le sensuel boucher) : « Elle était belle et assez grasse » (pulchra et satis pinguis).

De moine en moine, la boule de neige va toujours grossissant. Vers 1600, les compilateurs étant eux-mêmes compilés, augmentés par les derniers venus, on arrive à un livre énorme, les Disquisitiones magicæ, de l’Espagnol Del Rio. Dans son Auto-da-fé de Logroño (réimprimé par Lancre), il donne un Sabbat détaillé, curieux, mais l’un des plus fous que l’on puisse lire. Au banquet pour premier service, on mange des enfants en hachis. Au second, de la chair d’un sorcier déterré. Satan, qui sait son monde, reconduit les convives, tenant en guise de flambeau le bras d’un enfant mort sans baptême, etc.

Est-ce assez de sottises ? Non. Le prix et la couronne appartient au dominicain Michaëlis (affaire Gauffridi, 1610). Son Sabbat est certainement de tous le plus invraisemblable. D’abord on se rassemble « au son du cor ». (Un bon moyen de se faire prendre.) Le Sabbat a lieu « tous les jours ». Chaque jour a son crime spécial, et aussi chaque classe de la hiérarchie. Ceux de la dernière classe, novices et pauvres diables, se font la main pour commencer, en tuant des petits enfants. Ceux de la haute classe, les gentilshommes magiciens, ont pour fonction de blasphémer, défier et injurier Dieu. Ils ne prennent pas la fatigue des maléfices et ensorcellements ; ils les font par leurs valets et femmes de chambre, qui forment la classe intermédiaire entre les sorciers comme il faut et les sorciers manants, etc.