Page:Michelet - OC, La Montagne, L’Insecte.djvu/227

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roue de l’activité extérieure, qui nous emporte vers tout, tient notre regard fixé hors de nous et loin de nous.

Que ne puis-je donner aux hommes qui pourraient nous renouveler, quelques-uns des jours recueillis que j’eus à Pontrésina ! Un silence singulier éteignait, amortissait tous les vains bruissements qui se mêlent à la pensée. Les sens y saisissaient tout avec plus de certitude. La transparence de l’air qui supprime les mirages de brouillards, diminue les distances, permet non seulement de voir loin, mais de voir beaucoup à la fois. On embrasse dans un grand ensemble ce qu’on voit ailleurs en détail. Une grande harmonie où tout se tient, se contrôle mutuellement, exclut bien plus l’illusion, garantit la vérité.

Elle l’enrichit et l’étend, même au delà de ce qu’on voit. Au paysage du Roseg, admirablement harmonique, je devinais, en me guidant par des analogies frappantes, certaines parties cachées, et, par l’esprit, je voyais ce que je ne voyais pas. C’est le secret de vision dont parle l’antiquité, non sans raison, mais sans pouvoir se bien l’expliquer elle-même. C’est ce qui lui faisait dire que le voyant peut percer du regard à travers les corps.

Il est bien plus difficile de pénétrer en soi-même : c’est l’effort du recueillement, c’est le but du sage antique dans son séjour sur la montagne. Là il peut se ressaisir, dégager son génie propre et du vieux sillon des routines, et de l’entraînement des foules, et de son moi intérieur, — bref, planer de soi sur soi.

L’âme se sent un infini, son initiative augmente. L’humanité même en balance pèse peu. Qui ne se