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Mme DE CONDORCET

Défi sublime au règne de la mort, dont il était environné. Noble et touchante vengeance !… Ayant réfugié son âme dans le bonheur à venir du genre humain, dans ses espérances infinies, sauvé par le salut futur, Condorcet, le 6 avril, la dernière ligne achevée, enfonça son bonnet de laine, et, dans sa veste d’ouvrier, franchit au matin le seuil de la bonne Mme Vernet. Elle avait deviné son projet, et le surveillait ; il n’échappa que par ruse. Dans une poche il avait son ami fidèle, son libérateur ; dans l’autre, le poète romain qui a écrit les hymnes funèbres de la liberté mourante[1].

Il erra tout le jour dans la campagne. Le soir, il entra dans le charmant village de Fontenay-aux-Roses, fort peuplé de gens de lettres, beau lieu où lui-même, secrétaire de l’Académie des sciences, associé pour ainsi dire à la royauté de Voltaire, il avait eu tant d’amis, et presque des courtisans tous en fuite ou écartés. Restait la maison du Petit-Ménage ; on nommait ainsi M. et Mme Suard. Véritable miniature de taille et d’esprit. Suard, joli petit homme, madame vive et gentille, étaient tous deux gens de lettres, sans faire de livres pourtant, seulement de courts articles, quelques travaux pour les ministres, des nouvelles sentimentales (en cela excellait madame). Jamais il n’y eut personne pour mieux

  1. Altera jam feritur bellis civilibus ætas ;

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


    Justum et tenacem propositi virum

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


    Et cuncla terrarum subacia
    Præter atrocem animum Catanis.