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plafond, immédiatement sous le toit, était lézardé de larges crevasses par où la pluie devait pénétrer à flots[1].

» Les portraits que nous connaissons de Beethoven rendent assez bien la physionomie d’ensemble. Mais ce qu’aucun burin ne saurait exprimer, c’est la tristesse indéfinissable répandue en tous ses traits, — tandis que sous d’épais sourcils brillaient comme au fond de cavernes, des yeux qui, quoique petits, semblaient vous percer. La voix était douce et tant soit peu voilée.

» Quand nous entrâmes, sans d’abord faire attention à nous, il demeura pendant quelques instants penché sur une impression de musique qu’il achevait de corriger. Puis, relevant la tête, il me dit brusquement en un italien assez compréhensible : « Ah ! Rossini, c’est vous l’auteur del Barbiere di Seviglia ? Je vous en félicite ; c’est un excellent opéra buffa ; je l’ai lu avec plaisir et m’en suis réjoui. Tant qu’il existera un opéra italien, on le jouera. Ne cherchez jamais à faire autre chose que l’opéra buffa ; ce serait forcer votre destinée que de vouloir réussir dans un autre genre. »

« Mais, interrompit aussitôt Carpani qui m’accompagnait (bien entendu, en crayonnant et en allemand, puisqu’on ne pouvait pas autrement poursuivre avec Beethoven la conversation, que Carpani me traduisait mot à mot), il disait donc : « Le maestro Rossini a déjà composé un grand

  1. Il y a peut-être lieu de relever ici quelque exagération dans le récit de Rossini. Beethoven occupait alors avec son neveu, un appartement assez convenable au premier étage d’une maison située Phargasse, faubourg Lehngrube. L’escalier principal assez sombre, aboutissait à un escalier dérobé fort délabré, il est vrai, qui menait à une petite pièce du second étage, dont le grand compositeur avait fait son cabinet de travail. C’est là que fut introduit Rossini, qui pouvait en effet se croire dans une mansarde de grenier.

    (Je tiens ces détails directement du compositeur Ferdinand Hiller qui, lors de son passage à Vienne peu de temps après la mort de Beethoven, visita fréquemment le même appartement, occupé alors parmi locataire que Miller connaissait intimement)

    Mais, chose indéniable, la misère de Beethoven à cette époque était extrême ; ses biographes nous l’apprennent. Il vivait au jour le jour, au moyen d’emprunts d’argent qu’il essayait d’obtenir de tous les côtés ; car la vente de ses manuscrits ne rapportait guère : 30 à 40 ducats tout au plus, pour une sonate de piano !