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On se rue à la porte, on court vers la cuisine,
Et le sang va couler dans la pièce voisine.

Mais dans le corridor voyez-vous à pas lents
Ce prêtre s’avancer dans ses longs habits blancs ?
C’est le prieur sortant hors de la sacristie
Avec l’enfant de chœur : ses mains lèvent l’hostie.
Le fer rentre au fourreau, tous tombent à genoux ;
Il se tourne vers ceux dont gronde le courroux,
Et, dès qu’il apparaît, tout se calme et s’apaise.

On ne te connaît plus, noblesse polonaise !
On ignore comment de ta brouillonne humeur
Tu savais, sans police, étouffer la fureur.
La Foi nous assurait, la Loi restant maîtresse,
L’ordre et la liberté, la gloire et la richesse.
Ailleurs il faut, dit-on, soudoyer des agents,
Constables et recors, gendarmes et sergents.
Mais la sécurité sous la garde du glaive
Détruit la liberté, qui n’est plus qu’un vain rêve. »

Le Président frappa sa tabatière, et dit :
« Hé ! ne pourriez vous pas remettre ce récit
A plus tard ? C’est très bien d’admirer ces merveilles :
Mais on a faim, et ventre à jeûn :n’a pas d’oreilles. »

Le Woïski jusqu’à terre inclinant son bâton :
« Je demande, dit-il, un peu d’attention ;
Je termine à l’instant : c’est la dernière scène.
L’élu triomphe ; ici le camp vainqueur l’entraîne ;
On sort du réfectoire, on lance les chapeaux.
Voyez leur bouche ouverte : écoutez leurs bravos !
Et là-bas, le vaincu, dévorant sa défaite,
Enfonce tout pensif son chapeau sur sa tête.
A la maison sa femme attend… Elle a compris…
Sa bonne la soutient ; elle perd ses esprits.
Pensez ! Elle espérait Je titre d’Excellence,
Et pour trois ans encore une autre la devance ! »

Le Woïski dit, et fait un signe Impérieux.
Alors on voit entrer les laquais deux à deux.
Ils apportent les plats : le barszcz à la royale,
Le bouillon polonais, où la main libérale
Du Woïski fit tomber (secret intelligent)
Quelques perles avec une pièce d’argent.