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Qu’il prit pour un panache à la plume superbe ;
La corne d’Amalthée avec ses reflets d’or,
C’était une carotte : il l’aperçoit encor.
Les enfants la rongeaient de leur bouche gloutonne.
Merveille, illusion, charme, tout l’abandonne !

Tel de la chicorée un enfant voit la fleur.
Séduit par sa charmante et légère couleur,
Il la veut, il s’approche, il souffle : la corolle
En duvet dans les airs sous son souffle s’envole ;
Et notre curieux ne tient plus qu’un débris
De tige dénudée, un vil brin d’herbe gris.

Le Comte a renfoncé son chapeau, puis bien vite
Il revient sur ses pas et foule dans sa fuite
Les légumes, les fleurs, les groseillers ; enfin
Il a franchi la haie ; il est hors du jardin.
Il a dit qu’il allait déjeuner chez le Juge :
Tous ont peut-être appris, grâce à ce subterfuge,
Sa présence au jardin : ils vont l’y relancer ;
Si l’on voit qu’il a fui, que pourront ils penser ?
Il faut donc revenir. À grand peine il se fraie
Un passage dans l’herbe en effleurant la haie.
Enfin il est sauvé : désormais, sans détour,
La route le conduit tout droit jusqu’à la cour.
Il marche et du jardin il écarte sa tête.
Tel un voleur, du toit qu’à piller il s’apprête
Ou qu’il vient de piller, se détourne avec soin,
Tel le Comte est prudent, bien qu’il soit sans témoin :
Lui ? lorgner le verger ? Non, il regarde en face.

Il voit un bois : le sol sous le gazon s’efface.
Sur ces tapis, parmi les troncs blancs des bouleaux,
Sous l’abri suspendu de leurs jeunes rameaux,
S’agite étrangement un groupe de fantômes
Au vêtement bizarre : on dirait sous ces dômes
Des esprits éclairés par la lune. Les uns
Sont blancs comme la neige et les autres sont bruns ;
L’un sous un grand chapeau trouve un commode ombrage ;
L’autre est nu-tête : comme entourés d’un nuage,
Ceux-ci laissent flotter de longs voiles au vent :
On dirait la comète au vol terrifiant.
Chacun a sa posture aussi : cloué sur place,
L’un promène en tous sens un regard perspicace ;
L’autre, les yeux fixés devant lui, va tout droit,