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Quand sa mère sur lui joint les rideaux et jette
Des feuilles de pavot partout dans la couchette.
Télimène en ce lieu charmant aime à venir ;
Elle l’a baptisé Temple du Souvenir[1].

Debout près de la source elle étale sur l’herbe
Son châle rouge, large, éclatant et superbe ;
Et, comme la baigneuse au-dessus d’un bain froid
Se penche avant d’oser y plonger, on la voit
Qui se met à genoux et lentement s’incline.
Enfin, comme attiré par l’onde purpurine
Du châle, tout son corps s’y renversa soudain.
Les deux coudes sur l’herbe et le front dans la main,
Elle baisse les yeux et son regard s’arrête
Sur un livre français entr’ouvert sous sa tête ;
Elle laisse tomber autour des feuillets blancs
Un flot de cheveux noirs et de roses rubans.

L’émeraude de l’herbe et le corail du châle,
Sa longue robe rouge au vague reflet pâle,
Le jais de ses cheveux qui brille d’un côté,
Et sa bottine noire à l’autre extrémité,
Des bas, des mains, du front l’éclat pur et candide
La font luire de loin comme une chrysalide
Sur le feuillage vert de l’érable…

Sur le feuillage vert de l’érable… Ô malheur !
Ce spectacle charmant perd toute sa valeur :
Nul connaisseur qui puisse en goûter tout le prix ;
La chasse aux champignons absorbe les esprits.
Seul, Thadée a tout vu du coin de l’œil ; il n’ose
Aller tout droit : il veut dissimuler la chose.
Tel un chasseur, caché dans des branches d’osier,
Sur une double roue approche du pluvier
Ou des outardes, et près du cheval s’abrite :
La selle ou la crinière au fusil sert de gîte ;
Il feint de labourer ou de herser le champ,
Et du nid des oiseaux va toujours s’approchant ;
Tel louvoyait Thadée.

Tel louvoyait Thadée. Alors, ô malechance !
Le Juge, le coupant, vers la source s’avance.
Au vent flottent tout blancs les pans de son surtout

  1. Mot à mot : le Sanctuaire de la rêverie (Świątynia dumania).