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913 TRAITE HISTORIQUE DES DIEUX ET DES DEMONS DU PAGANISME 914


d’attribuer au diable les œuvres qu’on lui attribue, parce qu’il n’est qu’un instrument qui emprunte de Dieu toute son action et moi je crois avoir raison de dire que l’on se trompe d’attribuer à l’homme toutes ces opérations, puisque de lui-même il ne peut rien. Ce ne sera donc plus l’homme qui se remuera, qui parlera, qui mangera, qui boira, mais Dieu même de la même manière que ce n’est pas le diable qui produit les œuvres dont nous avons parlé, mais Dieu. C’est se précipiter dans une étrange conséquence mais on ne saurait l’éviter, puisqu’elle coule nécessairement du même principe car le diable et l’homme sont, par rapport à Dieu en ce cas, une seule et même chose, dans une égale impuissance, dans une entière dépendance. Si l’on veut presser ce principe, on en tirera des conséquences monstrueuses.

Il est donc évident que l’action doit être proprement attribuée à l’agent, particulièrement quand l’agent est une substance intelligente, comme est le diable. On n’en exclut pas la première cause au contraire on la suppose, on considère.son influence comme absolument nécessaire. Mais cela n’empêche pas que la créature ne soit celle qui agisse, et qu’elle ne reçoiv|e sa dénomination de l’action qu’elle produit.

On objectera sans doute que cette comparaison du diable avec l’homme n’est pas juste. 11 s’agit de savoir si l’un est l’auteur de ces hautes et sublimes opérations qu’on lui attribue au lieu que l’on ne considère dans l’autre que des actions propres et naturelles. Mais cette différence, quoique réelle entre ces deux créatures, n’est qu’une pure illusion par rapport à Dieu, et c’est en cela proprement que consiste l’état de la question. L’une, dans l’idée de son néant, n’a pas plus de disposition à se mouvoir, que l’autre à agir sur des sujets étrangers puisque toute leur vertu dérive également de Dieu. La cause de ceiîpréjugé consiste en ce que nous n’avons pas une idée assez claire du néant et de la dépendance de la créature, et que "nos conceptions touchant la première cause ne répondent pas toujours au pouvoir et à l’autorité sans bornes qu’elle exerce sur les causes secondes.

L’application de cette remarque semble assez naturelle. Que l’on exagère tant que l’on voudra la puissance du diable, que l’on prenne plaisir à outrer les expressions de nos théologiens ; nous le considérerons toujours comme un instrument en la main de Dieu, comme une verge de fureur qui ne frappe que lorsqu’il la laisse tomber sur ceux qu’il veut visiter. Enfin, que l’on tâche de rendre notre doctrine odieuse par des imputations malignes, il sera toujours aisé de les dissiper, pour peu que l’on s’attache à la considération de la créature qui, quelque noble qu’elle soit ; emprunte toutes ses opérations de son créateur. Nous n’avons garde de croire que l’intention du Saint-Esprit ait été de nous faire concevoir, par les passages que nous avons allégués, le diable comme un agent indépendant. Non, Monsieur, il


faut s’élever plus haut et remonter jusqu’à Dieu. On doit cependant se servir de ses expressions, et parce qu’elles sont consacrées, et parce qu’effectivement le démon étant un agent raisonnable dont il se sert, il faut lui attribuer l’action qu’il produit, et bien particulièrement le vice qui la souille.

Souffrez encore, Monsieur, pour éclaircir cette matière, que je vous demande quelle vertu avait Moïse ou Aaron et sa verge pour faire tant de miracles, pour infliger tant de plaies à Pharaon et à son peuple ? Vous me répondrez apparemment qu’il y aurait de l’absurdité à croire qu’une simple verge ait pu produire d’elle-même tant de miracles en la main d’un homme que l’un ne fut que le ministre, et l’autre un signe visible que Dieu accompagna d’une vertu toute céleste. Que ne diriez-vous point d’un homme qui voudrait nous imputer de croire que Moïse, Aaron et sa verge étaient la seule cause de tous ces miracles-, s’il s’étendait à écrire de gros volumes, à faire de grandes réflexions afin de colorer cette absurdité ? Et cependant l’Ecriture sainte dit qu’Aaron ayant étendu sa main avec sa verge sur les fleuves, les rivières et les étangs, fit monter des grenouilles sur la terre d’Egypte, etc. (Exod. viii, 5) et on le dit avec raison, parce que Aaron était le ministre, et sa verge le symbole que Dieu employa.

Voilà justement où nous en sommes avec M. Bekker. 11 nous impute partout de croire que le diable est la première cause de toutes les œuvres que l’Ecriture lui attribue. On a beau répondre qu’excepté celles qui répugnent à la sainteté de Dieu, dont la souillure ne peut rejaillir sur cet Etre parfait, elles lui sont attribuées de la même manière que les plaies d’Egypte sont rapportées à Aaron et à sa verge ; expliquer nos sentiments, répéter que le diable n’est qu’une cause seconde sans aucune vertu propre, qui ne peut pas même entrer dans des pourceaux sans permission, on continue à nous faire dire des choses auxquelles nous n’avons jamais pensé.

Remarquez, s’il vous plaît, Monsieur, que quand nous concevons le diable comme une verge de fureur sans aucune vertu propre, ce n’est que par rapport à Dieu, la première cause qui prévient, détermine, accompagne ; fléchit la créature, quelque excellente qu’elle soit. Mais il est constant que si vous le comparez avec l’homme, vous y trouverez plus d’excellence dans sa nature, de lumière dans ses connaissances, de pénétration dans ses vues, de facilité et de puissance dans ses opérations. Plus une substance est éloignée de la matière, et plus il y a de perfection. La matière offusque les lumières de l’âme elle affaiblit ses opérations, elle fait une grande diversion des forces de l’esprit la chair est impérieuse, les sens allument les passions et les convoitises ils assujettissent l’àme à leurs sensualités. Au contraire, le démon n’ayant aucune communication personnelle avec la matière, a plus de perfection physique ses pensées sont plus vives, elles le