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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

leurs canons contre le château. Deux autres bataillons, postés dans les cours, les imitèrent, et s’établirent sur la place du Carrousel, dans une attitude agressive. En rentrant au château, le roi était pâle, découragé ; et la reine dit : « Tout est perdu ! cette espèce de revue a fait plus de mal que de bien. »

Pendant que tout ceci se passait aux Tuileries, les insurgés s’avançaient sur plusieurs colonnes ; ils avaient employé la nuit à se réunir et à s’organiser. Dès le matin, ils avaient forcé l’Arsenal, et en avaient distribué les armes. La colonne du faubourg Saint-Antoine, forte d’environ quinze mille hommes, et celle du faubourg Saint-Marceau, de cinq mille, s’étaient mises en marche vers six heures du matin. La foule les grossissait dans leur route. Des canons avaient été placés par le directoire du département sur le Pont-Neuf, afin d’empêcher la jonction des assaillants des deux côtés de la rivière ; mais le procureur de la commune, Manuel, avait donné l’ordre de les retirer de cette position, et le passage du pont se trouva libre. Déjà l’avant-garde des faubourgs, composée des fédérés marseillais et bretons, avait débouché par la rue Saint-Honoré, se mettait en bataille sur le Carrousel, et tournait ses canons contre le château. De Joly et Champion retournèrent de l’assemblée en disant qu’elle n’était pas en nombre pour délibérer, qu’elle était à peine composée de soixante ou de quatre-vingts membres, et qu’elle n’avait pas écouté leur proposition. Ce fut alors que le procureur-syndic du département, Rœderer, avec les membres du département, se présenta à eux, leur dit qu’une si grande multitude ne pouvait avoir accès auprès du roi, ni de l’assemblée nationale, et les invita à nommer vingt députés et à les charger de leurs demandes. Mais ils ne l’écoutèrent point. Il s’adressa à la garde nationale, rappela l’article de la loi qui lui enjoignait, en cas d’attaque, de repousser la force par la force ; mais une très faible partie de la garde nationale y parut disposée, et les canonniers, pour toute réponse, déchargèrent leurs canons. Rœderer voyant que les insurgés triomphaient partout, qu’ils