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DIRECTOIRE EXÉCUTIF.

et la multitude voulut établir le sien contre tout le monde, par la constitution de 1793. Aucun de ces gouvernements ne put se consolider, parce que tous furent exclusifs. Mais, pendant leurs essais, chaque classe, momentanément dominatrice, détruisit dans les classes plus élevées ce qu’il y avait d’intolérant et ce qui devait s’opposer à la marche de la nouvelle civilisation.

Au moment où le directoire succéda à la convention, les luttes de classes se trouvèrent extrêmement ralenties. Le haut de chacune d’elles formait un parti qui combattait encore pour la possession et pour la forme du gouvernement ; mais la masse de la nation, qui avait été si profondément ébranlée depuis 1789 jusqu’à 1795, aspirait à s’asseoir et à s’arranger d’après le nouvel ordre des choses. Cette époque vit finir le mouvement vers la liberté, et commencer celui vers la civilisation. La révolution prit son second caractère, son caractère d’ordre, de fondation et de repos, après l’agitation, l’immense travail et la démolition complète de ses premières années.

Cette seconde période fut remarquable, en ce qu’elle parut une sorte d’abandon de la liberté. Les partis ne pouvant plus la posséder d’une manière exclusive et durable, se découragèrent et se jetèrent de la vie publique dans la vie privée. Cette seconde période se divisa elle-même en deux époques : elle fut libérale sous le directoire et au commencement du consulat, et militaire à la fin du consulat et sous l’empire. La révolution alla en se matérialisant chaque jour davantage ; après avoir fait un peuple de sectaires, elle fit un peuple de travailleurs, et puis un peuple de soldats.

Déjà beaucoup d’illusions s’étaient perdues ; on avait passé par tant d’états différents, et vécu si vite en si peu d’années, que toutes les idées étaient confondues et toutes les croyances ébranlées. Le règne de la classe moyenne et celui de la multitude avaient passé comme une rapide fantasmagorie. On était loin de cette France du 14 juillet, avec sa profonde conviction, sa grande moralité, son assemblée exerçant la toute-puissance de la raison et de la liberté, ses magistratures popu-