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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

n’avait été prise ; on n’avait rien décidé de ce qui pouvait prévenir les contestations. Louis XVI flottait irrésolu entre son ministère, dirigé par Necker, et sa cour dirigée par la reine et par quelques princes de sa famille.

Necker, satisfait d’avoir obtenu la double représentation du tiers-état, craignait l’indécision du roi et le mécontentement de la cour. N’appréciant pas assez l’importance d’une crise qu’il considérait plus comme financière que comme sociale, il attendait les événements pour agir, et se flattait de les conduire sans avoir rien fait pour les préparer. Il sentait que l’ancienne organisation des états ne pouvait plus être maintenue ; que l’existence des trois ordres, ayant chacun le droit de refus, s’opposait à l’exécution des réformes et à la marche de l’administration. Il espérait, après l’épreuve de cette triple opposition, réduire le nombre des ordres, et faire adopter le gouvernement anglais, en réunissant le clergé et la noblesse dans une seule chambre, et le tiers-état dans une autre. Il ne voyait pas que, la lutte une fois engagée, son intervention serait vaine ; que les demi-mesures ne conviendraient à personne ; que les plus faibles par opiniâtreté, et les plus forts par entraînement, refuseraient ce système modérateur. Les concessions ne satisfont qu’avant la victoire.

La cour, loin de vouloir régulariser les états-généraux, désirait les annuler. Elle préférait la résistance accidentelle des grands corps du royaume au partage de l’autorité avec une assemblée permanente. La séparation des ordres favorisait ses vues ; elle comptait fomenter leur désaccord, et les empêcher d’agir. Les états-généraux n’avaient jamais eu aucun résultat, à cause du vice de leur organisation ; elle espérait d’autant plus qu’il en serait encore de même, que les deux premiers ordres étaient moins disposés à condescendre aux réformes sollicitées par le dernier. Le clergé voulait conserver ses privilèges et son opulence ; il prévoyait bien qu’il aurait plus de sacrifices à faire que d’avantages à acquérir. La noblesse de son côté, tout en reprenant une indépendance politique depuis longtemps perdue, n’ignorait point qu’elle aurait plus à céder