Page:Mignet - Histoire de la Révolution française, 1838.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
63
ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

des immunités pécuniaires, et de l’inégalité des impôts, celle du casuel des curés, des annates de la cour de Rome, de la pluralité des bénéfices, des pensions obtenues sans titres, furent successivement proposées et admises. Après les sacrifices des particuliers vinrent ceux des corps, des villes et des provinces. Les jurandes et les maîtrises furent abolies. Un député du Dauphiné, le marquis des Blacons, prononça au nom de sa province une renonciation solennelle à ses priviléges. Les autres provinces imitèrent le Dauphiné, et les villes suivirent l’exemple des provinces. Une médaille fut frappée pour éterniser la mémoire de ce jour, et l’assemblée décerna à Louis XVI le titre de Restaurateur de la liberté française.

Cette nuit, qu’un ennemi de la révolution appela dans le temps la Saint-Barthélémy des propriétés, ne fut que la Saint-Barthélemy des abus. Elle déblaya les décombres de la féodalité ; elle délivra les personnes des restes de la servitude, les terres des dépendances seigneuriales, les propriétés roturières des ravages du gibier et de l’exaction des dîmes. En détruisant les justices seigneuriales, restes des pouvoirs privés, elle conduisit au régime des pouvoirs publics ; en détruisant la vénalité des charges de la magistrature, elle présagea la justice gratuite. Elle fut le passage d’un ordre de choses où tout appartenait aux particuliers, à un autre où tout devait appartenir à la nation. Cette nuit changea la face du royaume, elle rendit tous les Français égaux ; ils purent tous parvenir aux emplois, aspirer à la propriété, et exercer l’industrie. Enfin cette nuit fut une révolution aussi importante que le soulèvement du 14 juillet, dont elle était la conséquence. Elle rendit le peuple maître de la société comme l’autre l’avait rendu maître du gouvernement, et elle lui permit de préparer la nouvelle constitution en détruisant l’ancienne.

La révolution avait eu une marche bien rapide, et avait obtenu en peu de temps de bien grands résultats ; elle eût été moins prompte et moins complète si elle n’eût pas été attaquée. Chaque refus devint pour elle l’occasion d’un succès ; elle déjoua l’intrigue, résista à l’autorité, triompha de la