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ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

suspendue pendant la crise. Ces divers systèmes ont chacun leur époque : les révolutions se font avec une seule chambre, et se terminent avec deux.

La sanction royale excita de grands débats dans l’assemblée, et une rumeur violente au dehors. Il s’agissait de déterminer l’action du monarque dans la confection des lois. Les députés étaient presque tous d’accord sur un point. Ils étaient résolus à lui reconnaître le droit de sanctionner ou de refuser les lois : mais les uns voulaient que ce droit fût illimité ; les autres, qu’il fût temporaire. Au fond, c’était la même chose ; car il n’était pas possible au prince de prolonger son refus indéfiniment, et le veto, quoique absolu n’aurait été que suspensif. Mais cette faculté, donnée à un homme seul, d’arrêter la volonté d’un peuple, paraissait exorbitante, hors de l’assemblée surtout, où elle était moins comprise.

Paris n’était point encore revenu de l’agitation du 14 juillet ; il était au début du gouvernement populaire, et il en éprouvait la liberté et le désordre. L’assemblée des électeurs, qui, dans des circonstances difficiles, avait tenu lieu de municipalité provisoire, venait d’être remplacée. Cent quatre-vingts membres, nommés par les districts, s’étaient constitués en législateurs et en représentants de la commune. Pendant qu’ils travaillaient à un plan d’organisation municipale, chacun voulait commander ; car en France l’amour de la liberté est un peu le goût du pouvoir. Les comités agissaient à part du maire ; l’assemblée des représentants s’élevait contre les comités, et les districts contre l’assemblée des représentants. Chacun des soixante districts s’attribuait le pouvoir législatif, et donnait le pouvoir exécutif à ses comités ; ils considéraient tous comme leurs subordonnés les membres de l’assemblée générale, et ils s’accordaient le droit de casser leurs arrêtés. Cette idée de souveraineté du mandant sur le délégué faisait des progrès rapides. Tous ceux qui ne participaient pas à l’autorité se réunissaient en assemblées, et là se livraient à des délibérations. Les soldats discutaient à l’Oratoire, les garçons tailleurs à la Colonnade, les perruquiers aux Champs-Élysées,