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l’utilitarisme

vains utilitaires ont entendu par le mot utilité non pas une chose distincte du plaisir lui-même avec l’exemption de la souffrance ; et au lieu d’opposer l’utile à l’agréable, à l’orné, ils l’ont toujours identifié avec ces choses. D’un autre côté, le troupeau vulgaire composé des journalistes et de ceux qui écrivent dans de gros livres prétentieux, tombe dans une autre erreur : il attrape le mot utilitarisme, et quoique il n’en connaisse vraiment que le son, il lui fait exprimer le rejet, l’oubli du plaisir, dans quelques-unes de ses formes : la beauté, l’art, la jouissance. Et ce terme n’est pas seulement appliqué avec cette ignorance dans une mauvaise part, mais encore dans un sens élogieux, comme s’il représentait un état supérieur à la frivolité des plaisirs du moment. Ce sens perverti du mot utilitarisme est malheureusement le seul populaire, le seul que connaissent les nouvelles générations. Ceux qui ont introduit ce mot, puis ont cessé de l’employer comme appellation distinctive, ont donc bien le droit de s’en emparer de nouveau pour essayer de le sauver d’une dégradation complète[1].

  1. L’auteur de cet essai avait raison de se croire la première personne qui mit en circulation le mot utilitarisme. – Il ne l’inventa pas mais l’adopta d’après une expression passagère de M. Galt, dans les Annals of the Parish. Après s’en être servi pendant plusieurs années, l’auteur et d’autres l’abandonnèrent, répugnant à tout ce qui ressemblait à un mot d’ordre, à une marque de sectaire. Mais comme mot caractérisant une opinion particulière et non un groupe d’opinions, définissant l’utilité comme principe, sans s’occuper de son application, le terme comble un vide dans le langage, et dans beaucoup de cas offre un moyen commode d’éviter d’ennuyeuses circonlocutions. Note de l’auteur.